L’environnement de la coopération internationale est marqué depuis les deux dernières décennies par la consécration du champs lexical du changement, on parle de renouvellement des relations entre pays. De la commission de l’Union Africaine en 2017 qui parle de « l’Afrique que nous voulons[1] », au dernier sommet Afrique -France[2], où il a été question de redéfinir ensemble les fondamentaux des relations entre la France et l’Afrique, le discours est le même ! il faut Coopérer différemment. C’est de bon augure, entend -on dire dans toutes les plateformes et autres fora engagés. Ce changement porte bien évidemment sur tous les secteurs de la coopération, notamment celui des engagements citoyens que la présente réflexion se propose d’aborder en général et du volontariat français en particulier qui sont sujets eux aussi à de fortes controverses.
L’un des éléments marquant du changement en cours
dans le secteur du volontariat c’est l’impératif de la réciprocité aujourd’hui dans
ce domaine. Plusieurs acteurs en ont fait une priorité pour les années avenirs.
Dans un tel environnement l’on pourrait s’interroger sur les enjeux de cette réciprocité,
pourquoi en parle-t-on aujourd’hui ? qu’est-ce qu’elle implique ?
quelle est la responsabilité des acteurs nationaux dans cette dynamique ?
1
Petit
rappel historique
Le volontariat français est présent au Cameroun
depuis 1966, année de déploiement des premiers volontaires au Cameroun sous la bannière
de l’Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP)[3], c’est
un axe de coopération qui a permis la mobilité de plusieurs milliers de jeunes
français au Cameroun en tant que volontaires au sein des projets et programmes
portés par divers acteurs. Cependant une revendication a vu le jour
progressivement et a fait remettre en question ce modèle de coopération
cinquantenaire, L’exigence de la réciprocité !
Pour dire que le volontariat international n’a de
sens que lorsqu’il permet la rencontre et l’enrichissement interculturel, professionnel.
etc, de ce point de vue la France devrait elle aussi accueillir des jeunes
d’autres pays d’Afrique ou d’Asie sur son territoire dans le cadre du
volontariat. Des mesures ont été prises à cet effet et la loi sur le Service
Civique[4] français
a constitué un pas important car elle permet au pays qui accueillent des
volontaires de Service Civique français de déployer des volontaires en France.
Un récent décret[5]
a ouvert le volontariat de solidarité internationale à la réciprocité et cela
est effectif depuis Aout 2022.
Quelques initiatives ont déjà été mises en œuvre
dans le sens de cette mobilité croisée depuis quelques temps, nous pensons ici
au projet africa 2020 qui a mobilisé une jeune camerounaise pour une mission de
service civique dans la ville de Metz en 2021. Un projet porté par France
Volontaires.
En d’autres termes un cadre légal favorable à
l’envoi des volontaires camerounais en France est une réalité depuis plusieurs
années, on est en droit de se demander quelles sont les dispositions légales au
Cameroun qui pourraient permettre la mise en œuvre de cette réciprocité ? Lequel
des acteurs nationaux, Agence de Service Civique Nationale et Programme
National de Volontariat du Cameroun a mandat pour déployer des Camerounais hors
du Cameroun comme volontaires internationaux ?
2
Les
enjeux de la mobilité croisée
La mobilité croisée dans les engagements citoyens
entre la France et le Cameroun repose sur un principe : ce que les
jeunes français viennent faire au Cameroun durant leur mission de volontariat,
des jeunes camerounais devraient aller faire la même chose en France dans les
mêmes conditions. Cela pour rester en cohérence avec les discours qui animent
les mobilités Nord-Sud. En effet un volontaire parce qu’il va à la rencontre
des autres est porteur des valeurs de citoyenneté mondiale, il apporte sa
contribution aux actions de développement local, il participe à déconstruire
des préjugés établis par des pans de l’histoire, il est le premier ambassadeur
de son pays au sein de sa communauté d’accueil.
De ce fait, dans la construction d’une logique
d’équité et d’égalité il est aujourd’hui impératif de mettre en œuvre ces
mobilités dans les deux sens, Nord-Sud et Sud-Nord car de même que la société française
a besoin d’être édifiée sur certains aspects de la culture des autres pays, la
société camerounaise a besoin de déconstruire le mythe de l’el dorado européen.
La mise ensemble des jeunesses de tout âges est un outil majeur pour faciliter
la communication entre les personnes et déconstruire les préjugés.
C’est surtout un enjeu central pour construire une
nouvelle relation entre les peuples camerounais et français, une relation basée
sur la rencontre, l’échange et le partage, la mutualisation des efforts. C’est
un outil pour sortir des carcans d’une histoire commune mal vécue par les
jeunesses, porteuse de révoltes et de crises diverses.
3
Des
responsabilités partagées
C’est une chose de parler de réciprocité dans les dispositifs de volontariats entre la France et le Cameroun, s’en est une autre de la mettre en œuvre, ce point précis interpelle non seulement les deux Etats concernés, mais aussi les sociétés civiles à plusieurs niveaux.
Pour les Etats il s’agit de la mise en place d’un
cadre juridique favorable à ces mobilités et la mise à disposition des moyens
suffisants pour la mise en œuvre de cette volonté politique, tout cela passe
par un positionnement politique réel avec des orientations claires pour le
déploiement d’une dynamique de mobilités croisées. Nous avons évoqué coté français
des dispositions légales existantes favorables à la réciprocité, coté
camerounais si on peut saluer l’adoption d’une loi régissant le volontariat
national en 2021, nous attendons toujours son décret d’application et un
positionnement réel par les actes sur la question du volontariat de
réciprocité. Le rôle de l’Etat dans cette dynamique nouvelle est transversal,
certains aspects comme le cadre de déploiement des OSC reste à mettre à jour au
Cameroun.
Les sociétés civiles ont un rôle très important à
jouer parce qu’elles sont au cœur de la dynamique de développement et de
volontariat spécifiquement. Ces organisations sont confrontées au « rêve
européen » par exemple qui aujourd’hui a entrainé un drame à ciel ouvert
pour le continent africain. Pour qu’une dynamique de volontariat de réciprocité
soit mise en œuvre il est important que ces préjugés soient déconstruits. Dans un contexte du « paris à tout
prix » comment construire des partenariats solides et durables entre
acteurs français qui pourraient recevoir des volontaires camerounais et
structures camerounaises ? Si une réponse est trouvée à cette question
nous pensons que la mobilité croisée a de beaux jours devant elle.
La structuration des organisations de la société
civile jouerait un grand rôle dans la dynamique de mobilités croisées parce
qu’elle garantirait la qualité des projets montés, il faut des acteurs fiables,
ayant une bonne connaissance des mécanismes de financement des projets par
exemple. Des acteurs qui disposent des capacités financières ont généralement
une plus grande marge de manœuvre et de déploiement.
Les OSC devraient être des forces de propositions de
projets et capables de les mettre en œuvre, lorsqu’on connait la situation des
OSC et le cadre qui les accompagne il y a lieu d’avoir quelques réserves quant
aux possibilités des OSC camerounaises.
4 Evitons un énième débat Nord-sud
Dans ce contexte de changement de paradigmes de la coopération
Cameroun- France il est important que toutes les problématiques soient
adressées par les deux parties. Si la littérature sur la problématique du
volontariat de réciprocité est plus ou moins abondante coté français, il y a
tout de même un silence impressionnant autour de cette problématique coté
camerounais, très peu d’auteurs d’articles, peu ou pas d’ouvrages, encore moins
de positionnement scientifique autour de cette question.
Dans un tel environnement nous pouvons dire sans hésitation
que le débat autour du volontariat de réciprocité n’est pas une initiative
camerounaise. Cependant il représente une opportunité pour les acteurs
nationaux soucieux de promouvoir les engagements citoyens dans une logique
d’égal à égal. Il ne faudrait pas que le volontariat de réciprocité soit une
initiative venue d’ailleurs comme l’essentiel des orientations données aux
accords de coopération qui sont décriés partout sur le continent africain.
A l’aube d’une nouvelle ère dans la coopération entre
les pays, les cartes vont être redistribuées sur la table de la société
internationale. Si les bases des anciens schémas de coopération ont été jadis
pensées par l’occident, ce schéma a montré ses limites. Il est de ce fait
question de construire la coopération qui nous convient, dans le domaine spécifique
du volontariat, l’ouverture à la réciprocité est un impératif catégorique qui nécessite
tout de même une grosse implication de la part de l’Etat et des autres acteurs
de l’écosystème du volontariat au Cameroun. La partie camerounaise doit jouer
un rôle plus actif, être une force de proposition et d’initiatives. C’EST UNE
AFFAIRE DE TOUS !
[1] « L’Afrique que nous
voulons » c’est le slogan qui porte l’agenda 2063 de l’Union
africaine : l’Agenda 2063 représente le cadre stratégique de développement
de l’Afrique à l’horizon 2063.
[2] Le Nouveau Sommet Afrique-France
s’est tenu à Montpellier du 7 au 9 octobre 2021. Cette rencontre a reposé sur
un Nouveau format, de nouveaux acteurs… avec pour objectif de porter un regard
neuf sur la relation entre l’Afrique et la France pour offrir un nouveau cadre
de réflexion et d’action aux nouvelles générations.
[3] L’association française des
volontaires du progrès est créée en 1963 par le général DEGAULLE, elle prend l’appellation
France Volontaires en 2009
[4] LOI n° 2010-241 du 10 mars 2010
relative au service civique
[5]
Décret n° 2022-1067 du 28
juillet 2022 pris pour l'application de la loi n° 2005-159 du 23 février 2005
relative au contrat de volontariat de solidarité internationale